Article streetpress du 19 avril 2021 Par Robin Jafflin
Pour aider les jeunes largement impactés par un marché de l’emploi en crise, l'État subventionne les contrats de professionnalisation. Carrefour profite de l’occasion pour remplacer ses CDD et ainsi faire des économies. Ève (1) n’en revient toujours pas. Depuis sept mois, elle travaillait à la caisse d’un Carrefour du Nord de la France. Son CDD s’achève dans les jours qui viennent et on lui a promis qu’il serait renouvelé. Mais son manager lui propose un drôle de deal : une prolongation au même poste… en alternance. C’est ça ou rien. « Je n’ai pas plus d’explication à te donner, ça vient de la RH », lui assure son supérieur. La jeune femme refuse finalement le contrat pro moins bien payé qui lui est proposé et se retrouve au chômage. .
Dans une autre enseigne du groupe, en Île-de-France, Marie (1), la vingtaine, travaillait en réserve. Elle n’a pas été renouvelée. Victime d’un accident du travail après avoir porté une charge importante, elle est immobilisée plusieurs semaines, peu avant le renouvellement de son CDD. Sa direction a décidé de s’en séparer, sans ménagement. Aux quatre coins de la France, plusieurs salariés décrivent les mêmes méthodes. « Depuis novembre, tout est bon pour ne pas renouveler un CDD. Ceux qui ont moins de 29 ans se voient proposer un contrat pro. S’ils refusent, ils ne sont pas renouvelés. Les autres, sans trop d’ancienneté partent », décrit Martin (1) en CDI depuis un an et demi dans un Carrefour du Nord de la France.
Depuis décembre 2020, le groupe Carrefour communique massivement sur sa dernière campagne de recrutement. Après une année de Covid-19, le groupe enregistre une croissance de son chiffre d’affaires « jamais vue en 20 ans » : 7,8% à l’échelle mondiale, 3,6% en France. C’est dans ce contexte qu’il ouvre son recrutement à 15 000 jeunes pour l’année 2021. Officiellement pour « soutenir la génération Covid », le géant de la grande distribution française entend pérenniser 7.000 postes en CDI et en créer 8.000 nouveaux en alternance. Chez les syndicats, cette annonce a fait plus que grincer des dents. À l’unisson, ils dénoncent une méthode « perverse qui détruit des CDD déjà en place » pour les remplacer par des jeunes en alternance ou des contrats-aidés.
Faire de la place
Dans certains hypermarchés, selon les syndicats, la direction chercherait même des prétextes pour se débarrasser de salariés en CDI pour les remplacer par ces jeunes en contrat aidé. Vanessa, une syndicaliste CGT de l’Est de la France, s’agace :
« On a l’impression que les responsables cherchent
n’importe quels moyens pour virer du monde. »
Dans son magasin, la direction a semble-t-il une technique bien rodée. À chaque fois qu’un salarié est en arrêt maladie, Carrefour demanderait à la Caisse Primaire d’Assurance Maladie (CPAM) d’effectuer un contrôle à son domicile. Plusieurs employés de ce même hypermarché décrivent les mêmes faits. De l’accident du travail, en passant par le Covid ou un arrêt maladie pour des raisons psychologiques, tous – une dizaine de personnes au total – ont fait l’objet d’un contrôle. Contactée, la CPAM refuse de communiquer, mais la gêne semble palpable.
« Aller vers un emploi plus durable et qualifiant »
À la direction de Carrefour France, on se défend fermement de remplacer les CDD par des contrats subventionnés. Mais dans le même temps, la direction communique sur une « évolution nécessaire vers un emploi plus durable et qualifiant ».
(1) Les prénoms ont été changés. Photo d’illustration d’un Carrefour à Annecy, par Guilhem Vellut via Flickr. Certains droits réservés.
Article streetpress du 19 avril 2021 Par Robin Jafflin
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